"I always do something that I've never done before." | Matthias N. (Danemark)

SCENE 1
INT. HÔPITAL DE BISPEBJERG, COPENHAGUE, DK - 5 JUIN 1994

Plan moyen dans une chambre d’hôpital. Des ballons et divers cadeaux encore emballés pour la plupart sont posés sur la table de nuit et les chaises dédiées aux visiteurs. Au centre de la pièce, un lit avec des couvertures rose pâle. Couchée, une femme blonde et encore ronde de sa grossesse. A son chevet, un homme tout aussi blond et d’une très grande taille. Dans un berceau en verre s’agite un bébé potelé dont la chevelure se limite à trois poils sur le caillou. Les deux adultes semblent heureux.

NARRATEUR
Je suis né un magnifique 5 juin, pile pour la fête nationale, mais je préfère croire encore aujourd’hui que c’est moi qu’on célèbre. J’étais gros et laid, et ma mère me reproche encore aujourd’hui d’avoir ravagé ses parties intimes. Il paraît même qu’elle a pleuré de me voir si difforme et plein de gras et qu’elle a supplié les sage-femmes de me remettre à l’endroit d’où j’étais sorti.

Le bébé gazouille et l’homme se lève pour le prendre aux bras.

NARRATEUR
Heureusement pour moi, mon père m’a assuré que ses réflexions n’étaient que le contre-coup de la péridurale et de la fatigue de l’accouchement.

SCENE 2
INT. APPARTEMENT COSY, COPENHAGUE, DK - UNE SEMAINE PLUS TARD, JOUR

Plan moyen. Le salon de l’appartement est aménagé pour accueillir un nourrisson. Matthias, car c’est le bébé, s’agite dans un parc à bébé. Son père, LARS, brandit une caméra et la braque sur le bébé.

LARS
C’est qui le plus beau des bébés ? C’est qui ? Matthiaaaas, fais coucou à ton papa !

Plan rapproché sur le visage du bébé. Il offre un sourire édenté à la caméra, agite ses petits bras et petites jambes avant de rejeter tout son lait sur son pyjama. Il se met aussitôt à hurler.

NARRATEUR
Déjà à l’époque, des signes présageaient que j’allais leur en faire voir de toutes les couleurs. Mais malgré tout, ils ont trouvé le courage de m’aimer et de me chérir, pour le meilleur et pour le pire.

Rires du narrateur.

SCENE 3
EXT. RUES DE COPENHAGUE - JOUR

Plan large. Travelling. Un bambin blond et couvert de taches de rousseurs déambule en tenant la main de sa mère, LOTTE, un cartable sur le dos. LARS les suit en filmant MATTHIAS. Il semble lui poser des questions qui n’ont de cesse de le faire se retourner, ce qui agace LOTTE. Elle agite sa montre sous le nez de LARS.
LOTTE, MATTHIAS et LARS passent derrière un arbre. MATTHIAS est plus grand, environ huit ans. Son pantalon est troué et couvert de boue, et son nez est recouvert d’un pansement. Il tient la caméra de LARS et poursuit un oiseau, l’objectif braqué sur l’animal.
MATTHIAS disparaît derrière un kiosque à journaux. En ressortant, c’est un adolescent. Il est à vélo mais tient le guidon d’une main, l’autre occupée par une  caméra plus évoluée. MATTHIAS filme plutôt les gens qu’il croise que les animaux et commente à voix basse sur leurs faits et gestes, comme un documentaire animalier.

NARRATEUR
(au fur et à mesure que la scène se déroule)
La manie de mon père de filmer le moindre de mes faits et gestes - pour me faire du chantage plus tard lorsque je leur ramènerai une copine, disait-il - ne s’est pas arrêtée lorsque j’ai quitté mon berceau. Le premier jour d’école, il a fallu que la maîtresse le fasse sortir manu militari de la classe. J’étais habitué à être acteur, mais c’était l’autre côté de la caméra qui m’intéressait. J’étais fasciné par ce que de simples images pouvaient transmettre, tout le potentiel qu’elles pouvaient renfermer. J’ai commencé à filmer des animaux parce que mes parents étaient trop occupés pour être mes acteurs, mais j’ai aussi monté beaucoup d’histoires avec mes jouets - sans script, sur le vif. Les résultats étaient souvent bons à l’écran, mais beaucoup plus catastrophiques pour l’état de ma chambre. Mon père avait réussi à me transmettre le goût de la caméra, qui ne m’a jamais quitté comme l’avaient pourtant prédit mes instituteurs. Pour mes 14 ans, j’ai enfin eu ma propre caméra. Plus besoin de partager avec mes parents pour les films de Noël ou des événements importants, non ; j’ai enfin pu faire ce que je voulais. Je voulais filmer quelque chose de vrai. Pas d’explosions, ni d’effets spéciaux Hollywoodiens. Non, je voulais quelque chose d’authentique. Quoi de plus vrai que le monde ? J’ai alors décidé de passer mes journées à filmer le monde, la rue, les gens. Sans montage, sans scénario, juste du vrai, dans toute sa beauté, sa sensualité, sa brutalité et sa violence.

MATTHIAS finit par tomber de son vélo, mais sa caméra est sauve. Une jeune fille s’approche et lui tend la main pour l’aider à se relever.
Plan rapproché sur le visage de la fille. C’est une rousse, aux yeux chocolat et chauds comme l’âtre d’un foyer. Son nez est en trompette et lorsqu’elle sourit, elle découvre des dents du bonheur.
MATTHIAS prend sa main pour se relever. Très gros plan sur leurs mains jointes.

SCENE 4
INT. CHAMBRE - NUIT

Plan moyen. La jeune fille est allongée sur le lit et sourit. MATTHIAS la filme à bout de bras, une lumière accrochée à sa caméra pour éclairer légèrement la pièce autrement plongée dans la pénombre.

NARRATEUR
Janet, c’est mon premier et seul vrai amour à ce jour. Je lui suis tombé dessus comme le ciel vous tombe sur la tête ou comme on tombe amoureux - sans prévenir et violemment. Elle avait un faible pour les artistes, c’est la première chose qu’elle m’ait dite, et quand je dis faible, je dis fort. Elle avait ce charme naturel et authentique que je recherchais tant et elle est vite devenue mon sujet favori. Son visage, ses lèvres, son sourire, sa peau, la courbe de son sein, ses longues jambes - mes films en étaient remplis. C’est à cette époque que j’ai réalisé ma fascination pour le corps féminin. Et mon appréciation des activités nocturnes. A deux.

MATTHIAS pose la caméra sur le bureau en face du lit, toujours allumée. JANET rit et lui fait signe de la rejoindre. Il grimpe sur elle et rend son sourire. Gros plan sur le visage énamouré de MATTHIAS puis sur celui de JANET. Plan moyen en plongée sur les adolescents qui s’étreignent et s’embrassent. Leurs mains se font baladeuses et leurs baisers plus passionnés.
Fondu au noir.

SCENE 5
EXT. PARC PRES DU DA VINCI COLLEGE - 2017, JOUR

Plan moyen. MATTHIAS, maintenant un adulte, est assis dans l’herbe, à l’ombre d’un arbre sur une couverture rose pâle. Sur ses genoux, un ordinateur, auquel est branché une caméra.
Gros plan sur l’écran de l’ordinateur et les mains de MATTHIAS qui s’agitent sur le pad. Il est en plein montage d’un film.

NARRATEUR
J’ai rejoint le Da Vinci College par passion, et je ne regrette rien. Ou presque. Surtout la météo de chez moi, en fait. Mais je sais que chacun des choix que j’ai faits avaient une raison d’être et de me mener là où j’en suis aujourd’hui. Je ne crois pas aux effets spéciaux à outrance ni aux scripts trop détaillés. Je veux refaire le monde, le renouveler comme personne ne l’a jamais fait. Je crois au vrai, à la spontanéité, en l’homme et sa beauté violente.

MATTHIAS arrête de monter et contemple la caméra et la prend en main.
Changement de plan. Gros plan sur le visage de Matthias qui tient la caméra à bout de bras vers lui. Il sourit d’un air sûr de lui et carnassier.

NARRATEUR/MATTHIAS
Je m’appelle Matthias Nordskov, et retenez-le bien. Parce qu’un jour vous verrez mon nom au cinéma.